Un jour nouveau se lève

Oriane Thomasson
09 décembre 2021

Bertrand Estrangin, en partenariat avec la communauté artistique de Buku-Larrŋgay Mulka, présente à la galerie Aboriginal Signature Estrangin une exposition rassemblant près de 70 œuvres et 25 artistes, dont certains sont parmi les plus importants d’Australie. Le Centre Buku-Larrŋgay Mulka promeut et protège la culture des Yolngu, peuple aborigène de la Terre d’Arnhem, au nord de l’Australie. Son nom, qui signifie les premiers rayons du soleil levant frappant le front, rappelle que Yirrkala est le premier territoire à recevoir la lumière du soleil naissant au-dessus de l’océan. De même, l’aube se lève sur les œuvres de la culture des Yolngu. Bien qu’il s'agisse d’une petite tribu en termes de population, le rayonnement de leur art fait d’eux des géants, et le monde découvre peu à peu la complexe richesse de leur culture.

Les Yolngu habitent une terre tropicale à la végétation luxuriante, où les arbres peuvent proliférer. La plupart de leurs œuvres sont dès lors des tableaux d’écorce, réalisés avec des pigments naturels aux couleurs chaudes, peints sur de larges pans d’écorce d’eucalyptus ondulant subtilement. La hachure, ou cross hatching, est un procédé d’une grande finesse qui se retrouve dans nombre de leurs œuvres, telle The Ṉämbarra plant, de Mulkun Wirrpanda, une planche dont le motif est celui d’une plante médicinale. Il s’agit d’une phase où l'artiste - dont le savoir était si rare et si vaste qu’il permit de réaliser un dictionnaire botanique - explorait des espèces végétales, dont elle était la dernière à connaître les propriétés, et qu'elle craignait d'être oubliées par les jeunes générations.

La transmission et la mémoire sont en effet fondamentales pour cette culture multimillénaire. L’artiste Dhuwarrwarr Marika est la gardienne d’une histoire très ancienne dont son clan est le dépositaire, celle de l’île mythique de Burralku, l'Atlantide aborigène. Il y a vingt mille ans, dans la mer du nord de l’Australie, certaines îles ont été entièrement recouvertes par les eaux. C’est de cet épisode, l’un des plus anciens de l’humanité, que Dhuwarrwarr Marika se souvient, et qu’elle représente de façon très codifiée avec de superbes motifs aux vibrations intenses, évoquant l’ondulation de l’eau qui s’écoule.

Les artistes de Yirrkala sont également en constante recherche de moyens d’expression qui soient au service de leur culture et de leurs témoignages, adoptant une posture exploratoire qui reste fidèle aux valeurs de la culture Yolngu. Ainsi l’œuvre Ŋaymil font, de Gunybi Ganambarr - artiste à la notoriété internationale, dont l’une des œuvres est au Métropolitain Museum -, est une impressionnante gravure sur métal, peinte de façon traditionnelle, qui conjugue avec audace tradition et innovation. Gunybi Ganambarr a également réalisé deux larrakitj, poteaux cérémoniels, profondément liés aux rites funéraires des Yolngu. Comme une évocation des 250 larrakitj du Mémorial aborigène de la Galerie nationale de Canberra, la galerie présente une très belle collection de ces troncs d’eucalyptus peints, qui se déploie comme une forêt chatoyante.

Très codifié, l’art aborigène est intimement lié à une spiritualité, primordiale pour pénétrer profondément le sens des œuvres. Si l’on croit reconnaître la forme géométrique d’un losange, il s’agit en réalité de la figure récurrente du diamant, élément sacré qui incarne la rencontre des eaux salées et des eaux douces, aux origines de la vie. Le monde que chante l’art aborigène est d’une grande beauté. Les ramifications des relations entre la nature, les animaux et les hommes sont à son image, infinies.
 

The Dawn – L’Aube 
Aboriginal art from Australia – Buku-Larrŋgay
Aboriginal Signature Estrangin
101 rue Jules Besme
1081 Bruxelles 
Jusqu'au 18 décembre 2021
Sur rendez-vous du mardi au dimanche, de 11h à 19h 
www.aboriginalsignature.com 

Oriane Thomasson

Journaliste