Un Marcel Broothaers en héritage ?

Muriel de Crayencour
21 juin 2014
Vous possédez un tableau ou une sculpture d’un artiste reconnu ? Vous désirez en faire cadeau à une institution muséale ? C’est très simple.  Vous pouvez faire une donation ou organiser un legs. Attention,  la proposition peut être refusée.

Le mécanisme de la donation permet à une personne (appelée le donateur) de transmettre sans contrepartie et irrévocablement un bien meuble (par exemple une ou plusieurs œuvres) ou un immeuble à une autre personne (appelée le donataire) qui l’accepte. Le legs est la transmission à titre gratuit d'un ou plusieurs biens du défunt, faite de son vivant par testament, mais qui ne prendra effet qu'à son décès. La dation d'oeuvres d'art est une manière de paiement des droits de succession On se souvient de la dation Gillion-Crowet, dont nous avions parlé en  janvier. Au décès de son père, Roland Gillion-Crowet choisit de payer les 21 millions € de succession via la dation de sa collection.

Une autre donation importante aux MRBA fut, en 1990, celle du couple Bénédict et Alla Goldschmidt. Sans enfants, ils léguèrent une vaste collection de toiles, sculptures et dessins. Le testament disposait que les musées étaient autorisés à opérer une sélection, pour autant que les oeuvres élues soient exposées en permanence dans les salles, tandis que les oeuvres non retenues pouvaient être vendues. Le produit de cette vente, ajouté à celle de la maison du couple serait versé au Fonds Bénédict L. Goldschmidt, destiné à l'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, belges ou étrangers. La procédure de legs été réalisée par la banque Degroof. Ce sont près de 175 œuvres qui furent retenues par Eliane Dewilde, conservatrice en chef des MRBA et Gisèle Ollinger conservatrice du département de la peinture moderne. Des artistes tels que Braque, Chirico, Ensor, Ernst, Klee, Mirò, Poliakoff pour les peintures, Calder, Jacobsen, Bury, Broodthaers, … pour les sculptures, Lautrec, Chagall, Picasso, Zadkine, Poliakoff, Hockney, Permeke, Ensor, Spilliaert, Wouters pour les dessins sont ainsi entrés dans les collections.

Elles sont malheureusement aujourd’hui presque toutes non visibles, depuis la fermeture du musée d’art moderne. Et nul ne sait ce qui est advenu du capital destiné à l’achat d’œuvres. Ce manque de clarté dans la gestion est un souci depuis des décennies. L’exigence des Goldschmidt que toutes les pièces soient en permanence visibles au public est une contrainte difficile à tenir et qui n’aurait assurément pas dû être acceptée. Comme les Goldschmidt n’ont pas de descendance, plus personne de vérifie aujourd’hui que les conditions du legs sont respectées. On peut d’ailleurs reprendre une donation ou un legs dont les conditions ne sont pas appliquées. Le legs Hess, par exemple, a été récupéré par la famille via une procédure mise en place par Pierre de Maret, ancien recteur de l’Ulb.

Claire Leblanc, directrice du musée d’Ixelles explique : « Concernant les donations, il s’agit de nous faire une offre écrire, éventuellement vérifiée par un notaire.  Les collections du musée d’Ixelles se sont construites sur des donations. C’est la direction qui évalue si c’est opportun d’accepter l’oeuvre en donation. Cela doit être pertinent par rapport aux collections.  Il y a une réflexion à faire. Si les conditions sont trop contraignantes, nous ne pouvons pas accepter l’oeuvre. Si le donateur exige, par exemple, que l’oeuvre soit accrochée tout le temps dans les salles, je refuse la donation. Les conditions d’une donation d’il ya 50 ans peuvent être un cadeau empoisonné. Il s’agit de veiller à ce que ces conditions soient gérables dans 50, 100 ou 200 ans. Un musée, ça vit. Les goûts et les intérêts changent. »

Malheureusement, nous explique une source, il n’y a pas de suivi du responsable des  acquisitions en art moderne aux MRBA. Et il n’y a pas, nous l’avons déjà pointé, de politique d’acquisition. Les collections présentent un « trou » de 40 ans d’histoire de l’art. Il pourrait être comblé par une politique d’achat menée après une intense réflexion. Il faudrait constituer un comité de spécialistes (décideurs (conservateurs, chercheurs du musée ou extérieurs) qui définirait quels sont les artistes belges et étrangers à avoir sans faute dans les collections. Pour finir, n’oublions pas que chaque œuvre entrant dans une collection muséale, que ce soit via une acquisition, une donation ou un legs, doit faire l’objet d’une procédure dont les termes sont définis internationalement. Une enquête doit être menée par le conservateur spécialisé. On y retrouvera la description de l’objet (matière, état). Sa valeur historique et sa valeur muséologique (pourquoi doit-elle se retrouver dans un musée et pourquoi précisément dans celui-là). On doit connaître le vendeur (le donateur, le légataire), quelle est la provenance de l’objet. Il faut aussi vérifier qu’il ne s’agisse pas d’une pièce volée.

Au Cinquantenaire, une lampe Art déco d’Henry Van de Velde fut acceptée proposée par un marchand bruxellois bien connu directement par le directeur f.f., sans procédure de vérification par le conservateur spécialisé en art déco. On ne le répètera jamais assez : clarté, grande exigence et soins des procédures habituelles sont essentiels lors des donations. Les petits cadeaux d’ami à ami, à éviter.

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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