Pierre Paul Rubens, Cheval et cavalier portant un turban dans différentes positions de défense, ca. 1601-1602, encre sur papier, recto-verso, coll. privée, lot 48, estimation 300-500.000 euros, mis en vente chez Bernaerts à Anvers le 2 mai 2016 – www.bernaerts.be
La maison de ventes anversoise Bernaerts est en ébullition à quelques jours de sa vente Maîtres anciens des 2, 3 et 4 mai prochains. Et pour cause, elle a découvert à Anvers, dans une collection privée, une feuille d’études à l’encre brune et au lavis, qui vient d’être authentifiée de la main de Rubens ! Une révélation qui a changé de fond en comble le profil de ce dessin double face longtemps attribué à Van Dijck. C’est en tant que tel que les collectionneurs l’avaient confié aux Bernaerts pour une vente initialement programmée le 9 décembre 2015. Reprise en couverture de ce premier catalogue, l’œuvre composée de trois dessins était estimée 25-30.000 euros.
Tout aurait pu suivre ce cheminement normal si l’attention des uns et des autres n’avait été perturbée par le caractère hors du commun du dessin et par l’incohérence de certains éléments par rapport à l’annotation Van Dijck figurant au recto de la feuille. Trop de questions restaient en suspens pour abandonner ce lot intrigant à des hypothèses bancales. Il fallait lui laisser le temps de l’expertise internationale pour éclaircir son histoire. Retiré de cette première vacation, il a été examiné par des spécialistes internationaux dont Stijn Alsteens et Anne-Marie Logan à New York qui lui ont restitué sa vraie identité compte tenu du sujet, des techniques, des analyses et des comparaisons avec d’autres œuvres de Rubens mais également d’autres peintres.
Le sujet – une scène de combat – n’apparaît pas du tout comme une thématique exploitée par Van Dijck, plus connu pour ses portraits et compositions religieuses et mythologiques. Aucune œuvre du catalogue raisonné de l’artiste ne semble reprendre un quelconque homme à cheval dans une scène de bataille. Or c’est précisément le sujet de cette feuille que l’artiste a décliné en trois compositions autour d’un cheval, d’un cavalier au turban et d’une scène de bataille. Ces trois dessins sont traités selon des techniques et des outils différents (la plume, le pinceau large, l’encre brune et le lavis). Ce type d’encre ne se retrouve pas plus dans l’œuvre de Van Dijck, chez qui on ne retrouve pas davantage le filigrane au pèlerin présent sur cette feuille.
Tous ces éléments ont permis aux spécialistes de pencher pour une œuvre de Rubens, chez qui on a retrouvé des éléments du même sujet, le même filigrane et l’encre brune. Ces recoupements plaident pour une datation de l’œuvre au début de la carrière du maître, lors de son premier séjour à Rome, entre juillet 1601 et avril 1602. Elle se distingue par la spontanéité du dessin réalisé directement à l’encre, sans aucun dessin sous-jacent au fusain ou à la craie. L’homme à cheval portant un bouclier d’une main, l’autre tendue, est croqué deux fois. A la plume avec un trait quasi contenu, probablement dans un premier temps, puis au pinceau à une échelle légèrement plus grande. Au verso, on retrouve au centre l’homme au turban à cheval vu de dos. Son geste est répété plusieurs fois sur cette page remplie de figures ennemies de plus en plus abstraites.
La destinée finale de cette étude reste inconnue. Aucune œuvre de Rubens ne reprend littéralement ces études mais elles sont nombreuses à présenter des affinités. Ainsi, l’homme au turban de dos se retrouve-t-il dans un dessin de La Conversion de Saint Paul (ca. 1610-1612) conservé à l’Institut Courthauld à Londres. Cette scène a très probablement été inspirée des travaux de Raphaël et de ses élèves au Vatican – et plus précisément de la Bataille de Constantine dont le British possède une copie de Rubens ! Quant à la technique du lavis, elle est rare dans la carrière de Rubens qui l’expérimenta à ses débuts (Saint George et le Dragon, 1605-1607, Le Louvre) mais ne l’exploita plus guère après. L’utilisation conjointe de la brosse et de la plume sur papier est extrêmement rare chez Rubens. Deux exemples sont répertoriés au début de sa carrière et un seul dans les années 1633-1635 intitulé Sermon dans une église de village, conservé au MoMa. Ainsi se profile l’histoire de cette petite feuille anversoise (31,5 x 48 cm quand même ! ) qui risque bien d’aboutir dans la cour des grands… Compte tenu de la place aussi exceptionnelle qu’inattendue qui lui revient dans l’œuvre de ce génie du baroque. Epilogue le 2 mai.
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