Une assiette de porcelaine chinoise. L’émail jaune, l’émail bleu. Les bords tracés brutalement, le jaune qui coule sur un coin du tableau. Ou, un coin de fenêtre, sans doute dans un château, la lumière qui la traverse, créant des ombres élégantes sur le volet intérieur en bois peint. Le blanc en couche épaisse, qui rehausse, insiste. Ou, encore, un visage de pierre, c’est un buste d’empereur romain, les beiges et les gris, jetés sur la toile....Ca vibre, ça dégage une force . Ce n’est pas esthétisant. C’est juste puissant.
Quelle belle découverte que ces toiles, pour la plupart immenses, de Jan De Vliegher, que nous donne à voir la galerie Roberto Polo. Jan De Vliegher (1964), est un peintre qui vite et travaille à Brugge. “Je prépare mes images pendant plusieurs mois, puis je peins durant quelques semaines”, explique t il. De Vliegher passe en effet beaucoup de temps à composer des images sur ordinateur, en améliorant des photos. Ainsi, pour des vues d’intérieurs, il déplace un fauteuil, ajoute un lustre. Pour des collections de verreries, il répète des rangées de verres. Ensuite, dans son immense atelier blanc, il peint avec une puissance, une truculence et une jubilation sans mesure.
Ses toiles vous explosent au visage. La couleur y est posée dans un geste brutal. L’artiste travaille avec des pinceaux de 1M de long, qu’il tient à bout de bras. Ce n’est donc pas sa main qui travaille, mais son épaule et tout son corps. Il s’agit pour lui non pas de reproduire cette image esthétique qu’il a préparée: un intérieur rouge, classique, chargé de tapis, de boiseries, de fauteuils, de tableaux et de lustres, par exemple, mais bien d’en transmettre l’assemblage de couleurs et les émotions que sa vue lui procure. La couleur est jetée sur la toile en larges traits, ça dégouline, le geste prime sur la précision. Des éclaboussures parsèment la surface. On est dans l’action painting.
Yellow interior (Hofburg), est une toile de 3x2M. Il s’agit du salon de château richement décoré et éclairé. Un lustre immense en occupe la partie supérieure, comme un soleil cinglant de plein été. Vers la gauche, une double porte mène à une autre salle, puis une autre, introduisant une échappée dans la composition. Placez vous devant cette toile immense vous serez comme aspiré. La couleur jaune vif, la jubilation que l’artiste a mis à l’utiliser, la composition, la puissance du trait, l’intrépidité du geste, l’absence totale de freins, les éclaboussures, l’urgence mise à peindre, tout cela procure à l’observateur une joie profonde. Il aborde aussi une série de bustes antiques, toujours extrêmement agrandis. Les larges coups de pinceaux, cette manière de poser la couleur avec générosité, transforme le marbre des sculptures en une matière vivante, vibrante, charnelle.
C’est une même exhaltation que l’artiste partage pour ses collections de verres. Rangés sur des étagères, ils sont représentés agrandis, prétextes à magner des gris, des verts grisés, des roses passés réveillés par les éclats de blancs. De Vliegher, avec ce parti pris de la loupe grossissante, nous invite à voir la beauté de la matière transparente. Et toujours cette joie de peindre. Jubilatoire.
Jan De Vliegher
Roberto Polo Gallery
Bruxelles
Paru en avril 2013 dans L'Echo
Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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