Valère Novarina déclare la vie

Marie-Laure Desjardins
02 mai 2023

Qui dit que le langage est salvateur, que l’imagination sauve de la tyrannie des mots, que le souffle est charnel ? Qui a misé sur l’impulsion du geste, la figuration impérative, l’atout du bégaiement ? Est-ce vraiment parce que l’homme est connu pour une certaine idée du langage, du théâtre et de la peinture que son nom a le goût du mystère ? Animal imaginaire s’il en est, Valère Novarina trifouille dans le corps des langues, plonge son pinceau dans la langue vive. Son œuvre ouverte travaille l’enthousiasme et la jubilation. Alors que deux ouvrages ont récemment fait leur entrée en librairie – Valère Novarina, le surgissement de l’inconnu, de Laure Née, aux Presses universitaires de Vincennes, et La Clef des langues, de Valère Novarina aux éditions P.O.L. –, ArtsHebdoMédias vous invite à découvrir un atelier rare d’écriture et de peinture.


Je ne savais presque rien, le jour où mon œil s’est arrêté sur trois mots qui m’agitent encore. Devant la parole. Ce titre, pourtant sans verbe, s’offrait comme une proposition mystique. Se tenir devant la parole comme devant Dieu ou devant la vie. Cela me remua au point que la lecture du livre entier s’effectua dans le même élan, sans pour autant effacer le sentiment que les trois premiers mots avaient tout dit d’emblée. Ce qui rationnellement était impossible, mais a défini en moi l’œuvre entière de Novarina. Chaque trouvaille renferme et ouvre un monde. Depuis lors, l’ouvrage siège dans ma bibliothèque panthéone et je le cite à l’envi. Certains de mes étudiants se souviennent peut-être de ce premier TD où, tout à ma jubilation, je leur déclamais en préambule :
« Qu’est-ce que tous les mots nous disent en secret ? Quel est le secret que nous nous passons les uns les autres en parlant ?… Si nous appelons les choses d’un nom, c’est pour entendre que tout le réel est parlé. C’est sur la parole que la matière repose : la parole est la portée du temps, son portement. C’est un autre monde que nous verrions de nos yeux avec d’autres mots. Notre vue est parlée. Le visible est un renouvellement perpétuel de paroles. Rien n’est sans voix. Rien n’est sans langage. Si le mot en sait plus que l’image, c’est parce qu’il n’est ni la chose, ni le reflet de la chose, mais ce qui l’appelle, ce qui trace dans l’air son absence, ce qui dit dans l’air son manque, ce qui désire qu’elle soit. »

Je cherchais à étayer mes premières sensations, à les rendre intelligibles, et à saisir une occasion d’interroger celui qui, depuis les années 1980, dessine et peint en surcroît. La sortie du livre de Laure NéeValère Novarina, le surgissement de l’inconnu, m’en donna l’occasion. J’arrivais devant la porte de l’artiste avec une question première : « Ce pourrait-il que le dessin, la peinture, en sachent moins que les mots ? »

Plutôt que de répondre, Valère Novarina s’engage dans l’historique de la chose et explique avoir cessé de dessiner l’enfance passée. Il est adulte quand arrive un temps d’écriture. Il faut tenir tout septembre sans autres préoccupations. Les préparatifs se terminent. Toujours isolé en pleine montagne, le chalet est nanti de l’essentiel : crayons, encre, plumes, bambou. Reste désormais à laisser s’écrire les mots. Aphasie totale. Face aux feuilles impatientes, jaillissent par surprise et en continu des dessins à l’encre. Nous sommes en 1980. Si les textes novariniens peinent encore à intéresser les maisons d’édition, les dessins attirent immédiatement l’attention de la galerie MEDaMOTHI, à Montpellier, qui propose de les exposer. Pas question...

Dans le cadre d’un partenariat avec Arts Hebdo Medias, un site français d’information dédié à l’art contemporain, nous vous proposons de lire la suite de cet article  sur www.artshebdomedias.com

Marie-Laure Desjardins

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