Se délecter de chaque note du pianiste russe Grigory Sokolov quelques jours après avoir découvert la très belle exposition consacrée au fondateur du mouvement De Stijl, Theo van Doesburg, tout cela à Bozar, dans un même lieu, nous donne envie de rendre hommage à cette réussite culturelle belge. Bozar expose Buren, accueille des musiciens de renom et nous donne la joie de (re)découvrir ce grand artiste qui laissa sa trace en peinture mais aussi en design et en architecture.
Né à Utrecht, étudiant en art dramatique, Theo van Doesburg mania l’écriture avant le pinceau, de façon autodidacte et figurative jusqu’à sa rencontre en 1916 avec Mondrian. Théoricien de l’art, homme au caractère volcanique, toujours en recherche, il fut adepte de la théosophie : comment retourner dans le monde divin ? Par l’abstraction ! L’art de van Doesburg est né d’une volonté renouvelée de créer un mouvement international dans une époque chaotique et bouillonnante. Il emprunta et inventa plusieurs courants, l’élémentarisme, l’association artistique De Anderen, le mouvement et la revue De Stijl, le groupe constructiviste G. En 1921, il rejoignit les dadaïstes, donna des conférences déterminantes au Bauhaus (qui provoqua l’abandon de l’expressionnisme), initia le congrès des artistes progressistes et enfin signa le Manifeste de l’Elémentarisme en 1926, qui marqua sa rupture définitive avec le néoplasticisme et donc Mondrian.
Transformer le monde, telle est la révolution esthétique proposée par Mondrian, Kurt Schwitters et van Doesburg. Ce dernier observe l’organisation verticale et horizontale de ce qui l’entoure, monde idéal entre spiritualité et matérialité, et trace des grilles à main levée. Les lignes sont en tension car elles ne touchent pas les bords de la toile : c’est le néoplasticisme. Par cette tension créatrice, la forme se crée d’elle-même et se développe vers l’espace. De Stijl est le mouvement d’une structure harmonieuse. Celle-ci s’applique à tous les domaines et techniques, y compris bien sûr le design et l’architecture.
Organisée thématiquement et chronologiquement, l’exposition présente des films abstraits de Hans Richter, le travail d’élèves du Bauhaus, des œuvres des constructivistes comme El Lissitzsky et des artistes belges Victor Servranckx et Karel Maes. Le spectateur y découvre des œuvres rares émanant de musées hollandais mais aussi du Guggenheim à Venise, du Centre Pompidou et d’importantes collections privées. La chaise de Gerrit Rietveld (Chaise Rouge et bleue, 1918) présentée dans l’exposition, est un magnifique exemple de l’application concrète de la philosophie De Stijl. Formes élémentaires, colorées, faites de lignes en tension, jeu de mécano à l’opposé du confort hollandais traditionnel car il nourrit, non pas le bien-être physique, mais celui de l’esprit. Un programme qui se retrouve dans le design d’aujourd’hui.
Theo van Doesburg apporte une révolution supplémentaire : la couleur – et ses symboles : le bleu mélancolique et spirituel, le jaune énergie et vitalité – doit faire partie de l’architecture. Ce rôle de la couleur comme prolongement de l’espace infini lui a été inspiré par les films de Richter. Cette vision avant-gardiste qui marqua l’histoire de l’architecture est remarquablement illustrée, dans une salle dédiée, par des dessins et maquettes qui démontrent l’esprit visionnaire de van Doesburg. Dans le projet de maison réalisé par van Doesburg, Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp, le cœur de la maison se déploie en son centre de manière totalement libre. Espace mobile, cloisons coulissantes, portée par les trois couleurs (bleu, rouge et jaune), la maison De Stijl inspira les plus grands architectes parmi lesquels bien sûr Le Corbusier. La reconstruction de la salle du ciné-dancing est un des moments forts de l’exposition, on prend conscience de la modernité de van Doesburg, qui fit exploser la scission entre le cinéma, la musique, le design dans un lieu qui est une ode à la création à travers la couleur, l’image, le jazz… Nous n’avons (presque) rien inventé.
Theo van Doesburg
Une nouvelle expression de la vie, de l’art et de la technologie.
Palais des Beaux-Arts
23 rue Ravenstein
1000 Bruxelles
Jusqu’au 29 mai
De mardi à dimanche de 10 à 18h (nocturne le jeudi)
www.bozar.be
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