La collection Vanhaerents est installée depuis huit ans au centre de Bruxelles, dans un espace privé spécialement aménagé par cette famille de collectionneurs. Ni musée ni centre d’art, c’est une des premières initiatives privées qu’on a pu voir émerger en Belgique pour montrer de l’art actuel.
Walter Vanhaerents, qui fut mis à la tête de la société familiale de développement immobilier à 21 ans alors qu’il était étudiant en médecine – à la suite du décès de son frère puis de son père – collectionne depuis plus de 30 ans. Il y a quatre ans, à Venise, il se fait la réflexion que s’il doit un jour exposer à l’étranger, cela ne peut être que là. « Je ne connais pas une ville qui embrasse l’art contemporain comme Venise, nous expliquait-il en mai, lors de l’ouverture de la biennale, autour d’un cappuccino. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un lieu. Les Vénitiens sont tentés de nous louer des espaces à des prix vertigineux. »
Dans une grande salle attenante à l’hôtel Bauer Palladio, sur l’île de la Giudecca, c’est une vingtaine d’œuvres de grande taille qui sont à voir. L’ensemble des frais de cette exposition a été pris en charge de manière privée : location du lieu, transport et assurance des oeuvres. Visit.Brussels a offert le cocktail d’ouverture. L’île de la Giudecca est cette langue de terre en forme de croissant en face de San Marco et derrière le Dorsoduro. Elle était la destination des grandes familles mises au banc de la société, qui s’y exilaient. « J’ai décidé de passer les cinq mois de l’exposition ici. C’est étrange d’être au bord l’eau. Il faut s’habituer. J’ai appris l’italien avant de venir », raconte encore Walter Vanhaerents.
L’exposition est construite autour de la vidéo Martyrs, de Bill Viola. « J’ai été bouleversé par cette œuvre, explique le collectionneur. L’artiste a fait don de Martyrs à la cathédrale Saint-Paul de Londres. Pour financer cela, il en a proposé à la vente quatre éditions. J’ai pu en acquérir une grâce aux galeristes coréennes Kukje et Tina Kim. » Pour poursuivre son propos, Vanhaerents a choisi dans sa vaste collection August 9, 1945, de Matthew Day Jackson, une immense carte en relief de Hiroshima, brûlée par l’explosion de la bombe atomique lancée par les Américains ce jour-là. Viennent ensuite, suspendus au plafond, les Dogs de Bruce Nauman. Le titre de l’exposition est aussi le titre d’une chanson d’Elvis, Heartbreak Hotel. L’hôtel des cœurs brisés parle de mélancolie, de tristesse. Pour insister sur cette humeur particulière, Vanhaerents ajoute à sa présentation un clown allongé, dépenaillé, trop gros, d’Ugo Rondinone. Une toile de Lucien Smith, un jeune peintre américain. Une autre d’Andy Warhol. Une grande photo de Cindy Sherman.
En tant que collectionneur belge important, Walter Vanhaerents a son mot à dire sur la politique belge en matière d’arts visuels. Nous lui avons demandé ce qu’il pense de l’absence de musée d’art contemporain à Bruxelles : « Vous savez, en huit ans, je n’ai jamais vu aucun échevin ou bourgmestre bruxellois visiter la collection. Nous sommes invisibles pour eux. C’est dommage. »
Que pensez-vous de l’idée d’installer un musée dans le bâtiment Citroën ?
« C’est pas mal, mais ils pensent faire ça sans le privé. C’est une erreur. Nous sommes complémentaires. Si on me demandait de mettre ma collection à disposition d’un projet institutionnel, je dirais oui. Il est vrai que les institutions manquent de moyens. Le collectionneur Van Moerkerke me disait, à Bâle : "A la fin de la première rangée de stands, j’ai dépensé le budget annuel du SMAK." »
Reprenant le vaporetto vers San Marco, sur cette lagune si hypnotique, nous regardons la silhouette de Walter Vanhaerents devenir toute petite, devant la façade de son exposition à la fois courageuse, sincère et singulière. A l’image de son initiateur.
Heartbreak Hotel
Vanhaerents Art Collection
Zuecca Project Space
Giudecca
Venise
Jusqu’au 15 septembre
www.vanhaerentsartcollection.com
Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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