Veys, de commissaire à collectionneur

Muriel de Crayencour
13 janvier 2016

Christophe Veys est à la fois collectionneur, commissaire d’exposition et professeur d’histoire de l’art contemporain, d’histoire des institutions culturelles ainsi que de design d’exposition dans la section MASDEX d’Arts², l’Ecole supérieure des Arts de Mons. On a pu voir quelques pièces de sa collection dans une petite exposition commisionnée par lui à la galerie Catherine Jozsa en mai et juin 2015. Sa sélection toute en délicatesse présentait des œuvres sur papier, des multiples et d’autres pièces dans une proposition très cohérente et pleine de poésie. Véritable météorite dans le monde multicolore de l’art contemporain belge, Christophe Veys a tracé sa voie de manière à la fois personnelle et pointue. Portrait.

Né en 1973 à Braine-l’Alleud, il est plongé dans l’art dès ses études secondaires. Il étudie ensuite l'histoire de l’art à l’ULB et devient assistant au Centre d’art Nicolas de Staël dans son ancienne école, le collège Cardinal Mercier, où il participe activement à la programmation, notamment en y montant des expositions. « En montant des expositions, j’ai tout de suite embrayé sur la réalité, dit-il. Il fallait aller chez les collectionneurs, faire un choix et des photos des œuvres. Ce fut un bel apprentissage. » Durant un inventaire des œuvres de Maurice Pirenne, peintre intimiste verviétois, il reçoit un dessin de l’artiste par son exécuteur testamentaire, André Blavier. C’est la première œuvre de sa collection.

A 20 ans, il achète sa première œuvre. C’est une photo de l’artiste brésilien Mario Cravo Neto de la galerie portugaise Modulo, qu’il a pu voir à la foire de Bruxelles et précédemment durant un voyage au Canada. « L’œil cristallise ce qu’il voit en voyage, détaille-t-il. Aujourd’hui cette œuvre est un ovni dans ma collection. En fait, je voulais une photo qui me plaisait vraiment, mais elle n’était pas disponible à la foire. Comme j’avais peur de payer une photo que je ne pouvais pas emporter directement, j’en ai choisi une autre qui me plaisait moins. C’était une erreur. Depuis, je n’achète plus de sous-produit. »

A force de constater que l’art peut aussi être chez les particuliers, il rédige son mémoire sur la revue d’art belge+-0, autoproduite et publiée entre 1973 et 1993 par la galeriste Elisabeth Rona et sa famille. La revue propose des interventions de grands artistes ou de collectionneurs comme Herman Daled. Il continue à acheter régulièrement, avec son argent de poche, de petites choses comme par exemple une œuvre de Martin Creed à 600 francs belges, artiste qui gagne ensuite le Turner Prize.

 

Des témoins

En 1998, Veys ouvre un centre d’art avec deux amis, Les Témoins occulistes, dans un bâtiment en arrière-cour à Etterbeek. « A cause du nom, les gens pensaient que c’était une secte ! », raconte Veys en souriant. Le centre présente quatre expositions par an. Ce lieu sera pour lui le moyen de rencontrer des artistes comme Edith Dekyndt ou Benoît Plateus. Après cinq ans, le trio se sépare et Christophe reprend l’espace pour créer une galerie, Porte 11. Avec cette nouvelle structure, il participe à plusieurs foires internationales, comme Arco à Madrid. En même temps, il donne des cours dans une école secondaire.

Aujourd’hui, il est collectionneur et enseignant. Arts² est la fusion de l’Ecole supérieure des Arts et du Conservatoire royal de Mons. On y enseigne le théâtre, la musique et les arts visuels. Il donne aussi des conférences à JAP (Jeunesse et Arts Plastiques) et à l’Iselp. Il est occasionnellement commissaire d’exposition et il propose des ateliers.

La collection Veys compte aujourd’hui 350 œuvres environ. Elles ne sont pas toujours encadrées et sont stockées dans un storage. « Je ne choisis pas les œuvres en fonction du lieu où je pourrais les installer. Ce fut une libération de comprendre cela ! Chez moi, il y a une vingtaine d’œuvres. Que je change rarement. Je ne vis pas avec les œuvres mais toutes vivent à l’intérieur de moi. Il est vrai que j’ai un rapport bizarre à la possession. »

« Chaque œuvre est un écho de la vie du collectionneur, poursuit-il. La collection, c’est un autoportrait. On se dessine en creux. De plus, collectionner est une forme de responsabilité. Le collectionneur se doit d’être un acteur généreux et un partenaire dans le monde de l’art. Il doit acheter et ensuite prêter les œuvres. Collectionner, c’est s’impliquer en tant qu’humain dans une aventure humaine large. Mais ce n’est pas facile de vivre avec un collectionneur. Mes vacances consistent à aller d’un centre d’art à un autre ! C’est une vraie maladie, un handicap, un poison pour une relation. Soit il faut avoir des moyens conséquents, soit c’est compliqué. »

« J’aime aussi l’idée de bouleverser les rôles du monde de l’art : des artistes qui collectionnent, des collectionneurs qui dessinent ce qui deviendra une œuvre, des commissaires qui réalisent des expositions qui sont des œuvres en soi. Ma collection n’a pas de ligne véritable, bien qu’elle compte beaucoup d’œuvres sur papier. Il y a toujours une dimension liée au langage, à l’histoire de l’art et à la poésie, la délicatesse. Parfois, j’achète des œuvres d’une simplicité extrême. Et je me demande à chaque fois ce qui me pousse à acheter une œuvre que je pourrais réaliser moi-même ! »

Christophe Veys se prépare à intervenir dans une vitrine au Rivoli Building, où il pourra présenter des pièces de sa collection, en partie sélectionnées par ses étudiants d’Arts², soit des œuvres de jeunes artistes, soit des projets liés à son nouveau projet éditorial Protocole/Protocol. Une météorite hyperactive !
 

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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