Viva Arte Viva: échos de la lagune

Elisabeth Martin
20 mai 2017

Depuis quelques jours, l'art actuel prend les rênes de la Sérénissime. Son slogan ? Viva Arte Viva. Tel est le titre choisi par Christine Macel pour orienter la réflexion de cette 57e Biennale de Venise, qui donne la parole aux artistes. Forte de son aura, celle-ci séduit et attire le monde entier. On ne compte plus les expositions collatérales. Mille parcours sont donc possibles. De retour à Bruxelles, que reste-t-il de cette traversée, passionnante certes, mais vertigineuse et souvent déroutante. Support de pensée et de contemplation, l’art demande du temps, de la connivence et de l’attention. Tout voir est pratiquement impossible ! Flash-back personnel via quelques pavillons et expositions.

 

Les pavillons nationaux


Commençons par les Giardini. Récompensé par le Lion d’or et pris d’assaut par les festivaliers, le pavillon allemand est le plat de résistance d'une biennale somme toute assez sage. Certainement le plus surprenant et le plus audacieux. De chaque côté du pavillon, deux dobermans noirs inquiets tournent en rond derrière des grillages. A l’intérieur, Anne Imhof, vénérée dans son pays et reine de la scène d’avant-garde, orchestre un Faust qui dissèque crûment notre société contemporaine et en dresse un tableau glacial. Performatif et œuvre d’art totale, il plonge le visiteur dans une situation d’inconfort au cœur d’une expérience qui met en cage une dizaine de performeurs au teint livide rampant sous un plancher de verre ou jouant perchés sur d’étroits balcons. Faust (traduction du mot poing en allemand ou bien allusion à la pièce de Goethe ?) crie la difficulté de vivre dans un monde malade et exsangue à un visiteur voyeur et impuissant. La performance a lieu deux fois par jour. A voir, quelle que soit l'attente ! C’est saisissant, oppressant et très high-tech ! Et cela nous renvoie à la responsabilité de l’artiste et à son pouvoir de réveiller les consciences, credo de la Biennale 2017.

L'élégant pavillon suisse est un clin d'oeil subtil à Giacometti et à l'histoire de l'art. Philipp Kaiser a invité pour cela Carol Bove et le duo Teresa Hubbard-Alexander Birchler. Femmes de Venise renvoie au refus de Giacometti de représenter son pays à la Biennale, dans un bâtiment conçu en 1952 par Bruno, le propre frère de l'artiste. Une installation vidéo montre l'histoire tragique de l'artiste américaine Flora Mayo, qui fit ses études à Paris dans les années 1920 et fut la maîtresse de Giacometti. Carol Bove présente un joli ballet de sculptures bleues évoquant le célèbre groupe Femmes de Venise, montrées par ailleurs à la Tate Modern dans l'exposition en cours sur Giacometti.

Notre préférence va ensuite à Geta Bratescu, vénérable hôte du pavillon roumain. Un travail complexe et délicat construit autour de deux axes : la subjectivité féminine et le studio, si important dans la carrière d'un artiste. Un sujet qu'elle décline en espaces physique et mental. Formée aux arts et à la littérature, cette dualité est essentielle et récurrente dans l'œuvre de cette grande dame.

Relevons aussi le magnifique travail de Mark Bradford et ses peintures abstraites dans le pavillon américain. Les pavillons belge et australien célèbrent la photographie. Le premier accueille Dirk Braeckman et ses clichés noir et blanc dans un bâtiment Art déco, très pur. Une oasis de sérénité dans la Biennale. Tracey Moffatt anime de ses photos et vidéos le pavillon australien dont l'architecture est à mon sens la plus belle des Giardini. My Horizon est une touchante réflexion sur la disparition d'une identité, sur la population indigène et les questions de migrations.

A l'Arsenal, les bonnes découvertes sont nombreuses également. Pour représenter son pays, le compositeur, musicien et plasticien libanais Zad Moultaka a imaginé un monument à Samas, le dieu du Soleil et de la Justice des Babyloniens. Sacrum est une installation monumentale, plastique et sonore qui s’inspire des grottes de Jeita et de Chauvet et tente de conjurer le crépuscule annoncé de cette civilisation du Moyen-Orient par une énergie salvatrice. C’est comme un mantra, un appel vibrant fait de synergies entre son et plastique.

Le pavillon Future Generation Art Prize 2017 permet à 21 artistes de tous les continents et de 16 pays différents de s'exprimer. Ils s'engagent ici avec les complexités de notre société contemporaine et s'investissent dans les possibilités que leur offre l'art. Un bel équilibre entre propositions personnelles et collectives.

 

 

Hors Biennale


Face à la cité des Doges, à l'entrée du Grand Canal, l'île de San Giorgio Maggiore propose trois splendides expositions. N'hésitez donc pas à prendre le vaporetto pour une escapade hors de la frénésie de l'Arsenal et des Giardini. Le designer italien et fondateur du groupe Memphis Ettore Sottsass est l'hôte de la Fondation Cini. Commémorant le centenaire de sa naissance, l'exposition The Glass montre jusqu'au 30 juillet quelque 200 sculptures en verre ou en cristal allant de 1947 à 2007. La scénographie est magnifique, les pièces colorées, joyeuses, le design unique et d'une étonnante modernité ! Une exposition d’envergure ! A côté, Minimum, Maximum, un voyage inédit dans le travail d'Alighiero Boetti à travers les étapes les plus représentatives de son parcours. Le format a son importance ici (jusqu'au 12 juillet). Dans le coeur de la basilique même, une belle installation de Michelangelo Pistoletto, suivie d'un parcours intitulé One and One Makes Three qui nous conduit vers les débuts de son travail. Une vrai rétrospective (jusqu'au 26 novembre).

Guston et les poètes, à l'Accademia, met en avant la source d'inspiration qu'ont été des écrivains tels D.H. Lawrence, W.B. Yeats, Wallace Stevens, T.S. Elliot et Eugenio Montale dans la peinture de Philip Guston. Une des expositions les plus intéressantes (jusqu'au 3 septembre) !

Pour finir, cette réflexion qu'est Intuition sur les origines de la création, au Palazzo Fortuny, ne déçoit pas les attentes. A chaque édition, le commissaire belge Axel Vervoordt réunit de grands noms et nous régale d'une exposition de qualité (jusqu'au 26 novembre).

 

Biennale de Venise
Jusqu'au 23 novembre
http://www.labiennale.org/

 

Elisabeth Martin

Rédactrice

Traductrice puis pédagogue de formation, depuis toujours sensible à ce vaste continent qu’est l’art. Elle poursuit des études de sociologie et d’histoire de l’art avant de relever le défi de dire avec des mots ce que les artistes disent sans mots. Une tâche d’interprète en somme entre deux langages distincts. Partager le frisson artistique et transmettre l’expérience esthétique et cet autre rapport au monde avec clarté au lecteur, c’est une chance. Une sorte de mission dont elle nourrit ses textes.