Les récits de la matière à La Patinoire Royale

Gilles Bechet
20 avril 2023

Jonas Moënne, Basile Boon, Elise Peroi, Elsa Guillaume et Antoine Carbonne, cinq jeunes artistes aux univers affirmés, exposent à La Patinoire Royale Galerie Valérie Bach. Jusqu'au 13 mai.

Ils sont cinq, réunis pour nous raconter des histoires. Des histoires sans début ni fin. Des histoires à emporter et à laisser grandir. Associer une œuvre d'art à de la fiction, c'est comme l'exposer sur un radeau qui dérive en pleine mer ou encore l'abandonner sur un banc public aux regards des passants. Mais le plus simple reste encore de les poser sous les voûtes de La Patinoire Royale.

Pour cette nouvelle exposition, la Galerie de Valérie Bach présente cinq artistes émergents (de moins de quarante ans) nés ou installés en Belgique. Jean-Marc Dimanche, ancien directeur artistique de la galerie Eleven Steens, s'est chargé du commissariat, apportant dans sa sélection son intérêt pour la matière et pour l'imaginaire et toutes ses transpositions formelles, avec aussi une pointe d'humour. Il a fait le choix de diviser le vaste espace en îlots, où chacun des artistes bénéficie de son espace autonome sans être fermé aux autres.


De nouveaux récits

Jonas Moënne nous raconte des histoires de la nuit des temps, lorsque la Terre était encore couverte de vastes étendues liquides d'eau terreuse dont la surface placide laissait apparaître des bulles paresseuses et où les hommes n'avaient pour dessiner que quelques plaques de marbre. Tel un alchimiste, il aime jouer avec les matières, combinant dans ses étranges sculptures la céramique et le métal, le verre et le granit. En transformant des matières, il réécrit les histoires qu'on leur attache comme une ardoise prête à recevoir de nouveaux récits.

Chez Basile Boon, qui a bifurqué dans l'art après des études en architecture, les anciens mythes et les traumas personnels se frottent à l'insouciance des golden sixties dans des bas-reliefs rehaussés d'or ou dans de surprenantes sculptures en céramique. Dans son bestiaire ludique, des animaux mythologiques, des vestales de rites anciens défilent avec des employés de chantier ou de jeunes barbus propres sur eux. Pour nous montrer la voie, il suspend une main à une grue de chantier qui fait le tour de la question du bout des doigts. Dans ces sculptures, il joue des symboles et de l'humour pour évoquer un monde parallèle où toutes les différences s'assemblent dans l'harmonie.


Paysages mentaux

Elise Peroi n'attend plus Ulysse depuis longtemps, mais elle tisse des paysages délicats avec des bandelettes de soie peinte qui se superposent tout en transparence. Elle occupe l'espace par des pièces qui tiennent tant de la peinture que de la sculpture et qui nous invitent à un voyage immobile dans une nature traversée par la lumière. Les dimensions exceptionnelles du lieu permettent d'accueillir l'imposante tapisserie que l'artiste a réalisée pour Atla, de la danseuse et chorégraphe Louise Vanneste. La composition qui s'y déploie tient autant aux paysages mentaux qu'à la luxuriante solitude dans une île déserte qu'évoque le livre de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacifique, dont s'inspire le spectacle.

Elsa Guillaume travaille différents médiums. Elle propose une série de sous-marins en verre jaune ou gris réalisés en collaboration avec le CIAV de Meisenthal. Baptisés Nautiloïdes, ces fragiles engins posés sur de filiformes supports de métal semblent flotter entre des eaux intérieures. L'artiste ne quitte pas les fonds marins avec son bestiaire en céramique. Ces créatures où l'humain s'hybride avec le céphalopode ou le myriapode semblent émerger de l'îlot de bitume brillant où elles sont posées. Certaines pourront y voir une flèche décochée à l'exploitation irraisonnée des ressources naturelles. Elsa Guillaume poursuit son exploration des profondeurs marines dans une série de dessins délicats et poétiques dans une gamme de gris veloutés.

« Je suis le paysage », nous disent les peintures trompe-l'œil d'Antoine Carbonne, qui fait déborder le motif d'un pull, d'une chemise pour devenir le paysage qui dans une même dynamique se prolonge au-delà de la toile, comme pour signifier que la seule limite est celle de l'imaginaire. Inspiré par l'univers du jeu vidéo et du street art, l'artiste filtre la réalité contemporaine à travers un kaléidoscope de couleurs acidulées pour recomposer une cosmogonie. Et quand la partie est terminée, on recommence.
 

Young Belgium Opus 2
Fiction (s)
La Patinoire Royale /Valérie Bach
15, rue Veydt
1060 Bruxelles
Jusqu'au 13 mai
Mardi et mercredi de 14h à 18h
du jeudi au samedi de 11h à 10h

www.prvbgallery.com

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT